Ma Seyne à moi

 

 

Parler de l’écriture, je ne sais pas trop faire. Mais je peux vous raconter ma Seyne à moi. Mon nid, ma ville, c’est avant tout une ouverture sur la mer, sur le grand large. Je ne pourrais pas me passer de son horizon bleu, de la lumière du petit matin sur les Deux Frères quand je vais marcher au bord de l’eau vers les Sablettes. J’aime observer l’avancée des travaux du Grand Hôtel, ce vestige qui a vu défiler des robes à crinoline et des hommes en canotier. J’aime tout de ce coin, surtout hors saison quand la mer nous revient ; l’odeur de l’iode qui s’échappe des paquets d’algues en hiver ;  les vagues qui viennent lécher le mur ; les terrasses des cafés qui longent le bord où il y a toujours quelqu’un pour lire un journal au soleil; le port de St Elme qui referme la baie.
  Mais ma Seyne à moi, c’est aussi celle des vieux quartiers du centre où j’ai grandi. Celle du marché au bas duquel les anciens des Chantiers se retrouvent vers 10 h pendant que leurs épouses font les courses.  C’est l’école Martini de mes souvenirs, avec  ses volets verts. C’est la cour de mon enfance, celle de la rue Beaussier et de ses locataires cosmopolites où les deux côtés de la Méditerranée ne faisaient qu’un. Ce sont des odeurs de poivrons frits, de sauce tomate à l’aïl ou à l’harissa qui s’échappaient des appartements. C’est la Seyne des « petites gens » qui mélangeaient le provençal à des accents d’Italie, d’Espagne, du Portugal  ou du Maghreb. C’est à jamais, ancré en moi, le sentiment d’être le fruit de cette mixité, d’en être riche, d’en être pleine ; de la vivre comme une évidence ; de me sentir avant tout, une graine  du Sud.  Je dois à cette enfance heureuse dans les quartiers pauvres, un rejet viscéral du racisme et de toute forme d’intolérance. Au travers du réservoir inépuisable de l’Histoire et des leçons qu’elle nous inflige, je les combats avec mes mots. Ne pas le faire serait renier ce ce qu’au fond de moi, je suis restée: une enfant de la rue Beaussier, de la Seyne, de la Méditerranée.

 

Nicole Fabre